Chatbots : la déferlante
Publié le 20 juillet 2016
Depuis quelques mois, les géants du web ne jurent que par un mot : chatbots. Propulsés sous le feu des projecteurs en avril dernier avec l’annonce de Messenger Platform, la plate-forme de Facebook pour construire ses propres bots, ces petits programmes conversationnels ont déjà conquis le fleuron des applis de messagerie instantanée — Skype, Kik ou encore Slack, pour n’en citer que quelques-unes. Une invasion fulgurante qui ne semble pas prête de s’arrêter et qui pourrait bien bouleverser le paysage numérique... Mais à quoi servent ces robots qui enflamment la toile, au juste ?
Qu’est-ce qu’un chatbot ?
Pour faire livrer un bouquet de fleurs, obtenir la météo du jour ou commander un Uber, il suffisait jusqu’ici d’un rapide tour sur la toile ou de télécharger l’application mobile dédiée au service. En quelques clics, l’affaire était pliée : rien de bien compliqué. Mais dans leur inlassable quête de simplicité, les acteurs de l’innovation technologique n’ont pas encore dit leur dernier mot. Leur dernier dada en date : les chatbots. Issu de la contraction de « chat » (discuter) et « robot », le terme chatbot — dit aussi « chatterbot », ou, de manière beaucoup moins exotique, « agent conversationnel » — désigne un programme informatique capable d’entretenir une conversation écrite ou orale (Siri, ça vous dit quelque chose ?) avec l’utilisateur grâce à l’intelligence artificielle. Récemment devenus la coqueluche des applications de discussion, les chatbots se sont mués en véritables assistants personnels conçus pour effectuer des tâches précises à la demande : réserver un hôtel, booker un billet de train, acheter de nouvelles chaussures…
Chatbots : un peu d’histoire
Accueillis cette année comme une petite révolution, les chatbots n’ont en réalité rien d’une nouveauté : le tout premier, baptisé ELIZA, a vu le jour en 1966. Mis au point par Joseph Weizenbaum, un ingénieur du MIT, ce robot — toujours en ligne à l’heure actuelle — simule la conversation d’un psychothérapeuthe rogérien à grands renforts de reformulations et de « dites m’en plus ». Et malgré une tendance très prononcée à tourner autour du pot, ELIZA avait à l’époque su convaincre certains utilisateurs qu’elle était de chair et d’os ; un phénomène que l’histoire retiendra comme l’effet ELIZA.
Deux décennies plus tard, à l'heure de la popularisation d'Internet, les chatbots s’imposaient comme la tendance du moment et s’ouvraient au grand public. On se souviendra notamment de SmarterChild, le bot d’AIM utilisé par plus de 30 millions de personnes, ou encore de Clippy, l’assistant trombone un brin agaçant intégré à Microsoft Office jusque 2007. Mais il faudra attendre 1994 — soit près de trente ans après la création d’ELIZA — pour que le terme « chatterbot » soit employé pour la première fois. Le responsable : Michael L. Mauldin, fondateur du moteur de recherche au chien noir Lycos. Après s’être faits plutôt discrets ces dernières années, les chatbots font aujourd’hui un retour en force pour le moins fracassant — avec Tay, son bot devenu néo-nazi sur Twitter en quelques heures, Microsoft ne dira pas le contraire — et partent à l’assaut des applis de messagerie, de Telegram en passant par WhatsApp ou encore Viber. Shopping, météo, actualités, amusement : ils sont aussi divers que variés et se multiplient à vitesse grand V. Zoom sur quelques-uns des nombreux chatbots disponibles sur le marché.
Quelques exemples de chatbots
Sur Facebook, les développeurs n’ont pas perdu de temps pour créer leurs propres chatbots avec Messenger Platform : début juillet, on en dénombrait déjà plus de 11 000 dont Uber, CNN, Voyages-Sncf ou encore… Peggy, la cochonne du Muppets show.
Une créativité vestimentaire à faire jalouser Catherine Laborde, un œil constant sur la pluie et le beau temps, une pointe d’humour, Poncho a tout d’un véritable Monsieur Météo. À quelques détails près : Poncho est un chat… et un robot. Si entre parapluie ou sombrero, votre cœur balance, un simple message indiquant votre localisation mettra fin à votre dilemme et Poncho vous fournira aussitôt les prévisions météo de la journée, heure par heure ou sur 5 jours. Pour ne rien ôter à son charme, cet adorable chat en k-way s’improvise également conseiller culinaire — sa recette de guacamole vous mettra l’eau à la bouche — et cinématographique — spoiler : dans Batman vs. Superman, les deux super-héros ne tombent pas amoureux. Et si vous trouvez les bons mots, il vous invitera peut-être à boire un verre… à condition de savoir manier la langue de Shakespeare !
Large moustache, lunettes rondes sur le nez, Mica est un chat hype et sophistiqué. Un hipster, comme qui dirait. Les lieux branchés pour manger ou boire un café n’ont pour lui aucun secret. Indiquez lui l’endroit de votre choix et il se fera un plaisir de vous fournir une liste des spots de fooding les plus en vogue dans le coin, avec toutes les informations nécessaires et un plan pour y accéder. Mais attention, Mica ne s’exprime qu’en anglais. Le français, c’est trop mainstream…
Votre vie manque cruellement de drame ? Une petite crise existentielle à gérer viendrait la pimenter ? Meet Jessie, une jeune femme d’une vingtaine d’année qui vient de se faire renvoyer et a 24 heures pour décrocher un nouveau job, dénicher un appartement et trouver un petit-ami. Sacré programme. Votre mission, si vous l’acceptez : aider Jessie et lui prodiguer vos précieux conseils pour la guider à travers cette journée plus que chargée. L’histoire repose entièrement sur les décisions que vous prendrez (9 dénouements différents sont possibles)… et elles sont de taille. Alors, Jessie doit-elle continuer à chercher un logement ou aller draguer ce charmant jeune homme au bar ? À vous de voir. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : avec près de 30 heures de jeu et 3500 lignes de dialogue, vous ne risquez pas de vous ennuyer. Et si le jargon 100 % millenial de Jessie vous effraie, notez que l’Urban Dictionary peut grandement vous aider !
Dans votre garde-robe d’été, c’est le vide intersidéral. Une séance de shopping s’impose, mais vous auriez bien besoin d’un petit coup de pouce. Avec le bot H&M pour Kik, problème réglé ! Après avoir renseigné quelques informations permettant d’établir votre profil personnalisé — sexe, tranche d’âge, type de style… —, le chatbot se transforme en véritable styliste personnel. Envie d’un nouveau caraco, d’un jean destroy, d’une combi ? Demandez, il vous proposera aussitôt un ensemble complet à votre image accompagné de son prix. Si la suggestion vous plaît, un simple clic vous permet d’accéder au site et d’y acheter l’article convoité. Seule ombre au tableau : le bot vous redirige automatiquement vers le site américain de la marque. Il reste toutefois un outil fort utile en cas de panne d’inspiration.
Chatbots : pourquoi un tel engouement ?
Cette fièvre des chatbots qui frappe si soudainement les géants de la messagerie instantanée n’a rien d’un hasard : elle survient dans un contexte où les applications mobiles sont de moins en moins utilisées. D’après David Marcus, Vice Président chargé des messageries chez Facebook, les utilisateurs de smartphones passent plus de 80 % de leur temps dans seulement 5 applications. Les applis de messagerie gardent la côte, au point d’être désormais plus utilisées que les réseaux sociaux, comme le démontre l’étude menée par BI Intelligence. Sur Messenger et WhatsApp, les deux applications de discussion possédées par Facebook, plus de 60 milliards de messages sont d’ailleurs envoyés par jour, soit trois fois le nombre total de SMS envoyés en une journée. Et du haut de son milliard d’utilisateurs, WhatsApp est utilisé par une personne sur 7. Rien que ça.
Avec le recul des téléchargements d’applis et le boom de l’utilisation des services de messagerie instantanée, les chatbots tombent à pic pour les entreprises. Ils donnent le coup d’envoi d’une nouvelle ère : celle du commerce conversationnel. Intégrés aux applications de discussion, les bots permettent aux mobinautes d’accéder instantanément aux services désirés sans avoir à écumer la toile, à télécharger une myriade d’applis et à s’y créer un compte — un processus long et rébarbatif. Ils simplifient donc le parcours utilisateur en le centralisant : plus besoin d’aller vers le produit, celui-ci vient directement à eux. Résultat, un maximum d’engagement et de satisfaction. La relation client s’en trouve également améliorée : ces robots permettent de contacter les marques et d’obtenir l’information souhaitée de façon immédiate. Et ce, à n’importe quel moment !
S’il reste encore du pain sur la planche pour les perfectionner, cela ne fait aucun doute : les chatbots n’ont pas fini de faire parler d’eux. Certains voient en eux la fin des applications mobiles, d’autres se montrent beaucoup plus mesurés... Ted Livingston, CEO de Kik, a pour sa part déjà tranché : « Les applications de messagerie seront pensées comme les nouveaux navigateurs ; les bots seront les nouveaux sites Internet. C’est le début d’un nouvel Internet. »
Et vous, que pensez-vous des chatbots ?